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André BOURDIL Peintre

1911-1982

 

la Tunisie & Gide

l'Algérie

les ennuis de santé

Manosque & Giono

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La Tunisie - André Gide

En juillet 1942 la période de sa bourse étant arrivée à son terme, il s'embarque avec son épouse pour Maxula Rades en Tunisie où il est accueilli par la famille Amrouche qui y vit et est nommé Professeur de dessin au Lycée de filles d'octobre 1942 à juin 1943 ; Laurence naît en décembre ; une grave maladie de sa femme s'ajoutant aux conditions de vie difficiles l'usent au point qu'il écrit avoir perdu douze mois de sa vie ; pendant cette période il a peu peint, une quinzaine d’œuvres ; cependant d'avril à mai 1943 il peint le splendide portrait d'André Gide (Musée Calvet) dont il a fait connaissance grâce à son beau-frère Jean Amrouche et qu'il a beaucoup vu pendant l'hiver précédent ; c'est à cette époque en mai qu'il se marie religieusement et modestement à la Chapelle de l'Asile des Vieillards à Tunis :

" Admirable journée ; c'était un matin de très bonne heure, dans une blanche chapelle aux lignes pures, les clairs vitraux laissaient voir des feuillages et on entendait le premier chant des oiseaux; comme des hirondelles immobiles des Sœurs priaient. Un Père blanc disait la messe... "

En mai 1942 André Gide venant de Marseille où Paul Valéry l'avait accompagné au bateau, se réfugie à Tunis où il reste un an ; c'est là que le surprend le débarquement des Forces alliées américaines et anglaises auxquelles vient se joindre une modeste armée française réorganisée par le Général Juin, pour livrer bataille à l'Africa Corps de Rommel. Le 7 mai 1943 Tunis est libéré. Le 23 mai 1943, avant son départ pour Alger, l'écrivain raconte :

" ...Effroyable confusion des veilles de départ On prend congé des amis, ils veulent vous voir encore. Ce matin, les Amrouche, les Flory, Pistor et un capitaine de l'Armée Leclerc qui souhaite m'être présenté, le jeune Guy Cattan, se pressaient dans ma chambre, tandis que Bourdil, le beau-frère d'Amrouche, achevait en hâte mon portrait. Je cherche ce que je puis dire à chacun de plus aimable. Cependant j'engage avec Amrouche, tout en posant encore pour Bourdil, une partie d'échecs où il triomphe de moi sans peine, car je n'ai plus ma tête à moi... "

Dans une lettre de décembre 1944 André Gide lui écrit:

" J'aime et admire votre portrait, le meilleur qu’on ait fait de moi de beaucoup ; mon âme même l’habite avec la vôtre, et j'en suis heureux. "

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L'Algérie - La Villa Abd El Tif

Après sa demande de bourse pour la Villa Abd El Tif au Gouverneur général de l'Algérie en juillet 1942 et la réunion du jury en octobre, satisfaction lui est donné et il est nommé en novembre 1942.

Le séjour de l'artiste correspond à une période particulièrement agitée, Alger sert de tremplin aux forces alliées qui se préparent à libérer la Tunisie et à débarquer en Sicile, l'aviation allemande pilonne le port chaque nuit.

Ce n'est que le 15 juillet 1943, car les ennuis de santé de son épouse l'ont retenu en Tunisie et l1appartement du premier étage donnant sur un patio qui lui est affecté (sur les quatre existants) est occupé par un pensionnaire qui ne veut pas quitter les lieux malgré l'ordre du Vice Gouverneur, qu'il gagne la Villa Abd-El-Tif avec son épouse et sa fille ; il manque de peinture et de toile ; Maurice Legendre, alerté par lui et Jean Alazard, l'approvisionne comme il peut d'Espagne et l'un de ses anciens camarades des Arts décoratifs, Georges Rhyn réussit à lui faire parvenir de la peinture du Canada grâce à un aviateur anglais de Montréal en charge des avions de guerre pour l'Afrique du Nord.

La lumière de l'Afrique ne l'attire pas ; dans une lettre à Maurice Legendre, Directeur de la Casa de Velazquez il écrit:

" …Ici, il y a trop de lumière pour moi. Je ne la trouve pas assez hiérarchisée, elle est partout, très chaude et éparpillée comme du sable. Je crois que c’est dans les pays du nord, au contraire, que l'on peut apprécier les diverses qualités de la lumière qui se révèle dans toute sa véritable et profonde substance. La lumière ne vaut que par ses innombrables valeurs, par l'ombre par les demi-teintes, ici ombres et demi-teintes sont absentes : tout est impitoyablement dévoré par le feu.... "

Les ennuis de santé de son épouse continuent à l'inquiéter au cours de l'année 1944 ; ils sont la suite de la chute qu'elle avait faite en 1941 dans les escaliers de la Casa de Velazquez. En juin 1944, c'est l'exposition de Londres de 80 toiles et 60 dessins de 60 peintres à laquelle il participe avec deux œuvres, exposition sous les auspices du Comité français de Libération national et du British Council qui a lieu à la Galerie de la Royal Society of Water Color : en décembre 1944 il fait un séjour à Bou Harrifa dans une villa appartenant à Abd El Tif dans le sud Oranais.

A André Gide toujours séduit par son portrait, il propose d'en faire un autre pour le lui laisser; celui-ci lui répond qu'il se tiendra à sa disposition quand et aussi longtemps qu'il faudra.

Du 10 mars au 13 avril 1945, profitant enfin d'un isolement lui permettant de se donner à sa peinture, il séjourne à l'Oasis de Nefta, à l'Hôtel du Djerid et peint 62 toiles dans l'Oasis beaucoup de celles-ci ont disparu et sont recherchées ; il se réconcilie un peu avec la lumière de l’Afrique malgré son trajet de Sfax à Gafsa en car au cours duquel il se plaint du sable stérile, inguérissable, inexpressif ; jamais il ne pourra entendre aucune voix dans ces étendues qui ne sont ni mortes ni vivantes, écrit il aussi à son épouse.

Il s'applique à l'intérieur de l'Oasis à choisir les sujets types ; le palmier a le pouvoir par sa colonne et son chapiteau de tout rythmer, je suis traversé par la démence de Van Gogh et la virtuosité de Marquet que j'ai peut être compris vraiment ici écrit-il à son épouse.

Plus tard en avril 1945, à son retour, il se confie à André Gide à qui il écrit :

" Je suis allé jusqu'à l’extrémité de ma maîtrise... ce que j'ai ressenti et compris à Nefta devrait me permettre des progrès considérables et que je ne soupçonnais pas. Comme c'est encourageant de sentir que le jugement se renouvelle et chaque fois dépasse l’œuvre... course inépuisable et folle vers le meilleur capable de bien remplir une vie ".

Le 4 juin il est de retour à Abd El Tif après un séjour familial en Tunisie ou son épouse souffre toujours de troubles graves et consulte médecins et spécialistes qui n'arrivent pas à faire un diagnostic précis.

Pendant son séjour à Abd El Tif il aura peint plus de cent œuvres.

Cette période passée en Afrique du Nord lui aura permis de nouer de nombreuses relations, Jean Amrouche, Jacques Lassaigne, André Gide, le peintre Marquet et son épouse, Jean Alazard, Marcel Reggui, Edouard Frick, Émile Dermenghen, Jacques Berque, l'Amiral Rivet, Luc Jean, René Journet et de tisser des liens d'amitié profonde...

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Paris - Les ennuis de santé

Fin septembre 1943 c'est le retour à Paris ; sa santé se dégrade à la suite d'une entorse en descendant du bateau ce qui l'oblige à séjourner à l'hôpital.

Le peintre Albert Marquet l'introduit auprès des Arts et Lettres pour des achats de tableaux et André Gide parle "abondamment de lui" à Jean Cassou qui voit sa peinture et fera acheter en 1951 l’admirable "Femme aux oiseaux" peinte en hommage à Matisse et exposée jusqu' en 1977 au Musée National d'Art Moderne ; il reçoit Jean Cogniat à Rueil Malmaison où il demeure et Jean Rousselot écrit un article élogieux sur lui en évoquant son "ésotérisme pictural".

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Manosque - Jean Giono

Il écrit à Jean Giono à qui deux de ses amis professeurs ont parlé de lui ; Giono, admirable de gentillesse, l'invite à venir à Manosque avec son épouse qu'il veut aider aussi dans sa carrière littéraire, et sa fille ; il participe activement à l'exposition d'André Bourdil en juillet à la Mairie de Manosque où celui-ci vendra plusieurs tableaux et rend un magnifique hommage à son talent:

" Bourdil a fait un jour le "Portrait" d’une paire de souliers. Et ce qu'on voit est un rose très dramatique, un jaune plus riche que l'or de Cortez (la boîte de carton contenant le cirage et les brosses), un bleu d’anges digne de Florence (le chiffon à faire reluire) qui jouent tous les trois un drame élisabéthain. Voilà ce que j'appelle de la peinture. Bourdil d'ailleurs est coutumier du fait, ou plus exactement ce fait précis est Bourdil. Ce qu'il exprime, c'est la divine comédie de la couleur et sa comédie humaine, l'essence spirituelle des rapports et l'âme des choses telle qu'elle est dans l'époque que nous vivons aujourd'hui. Qu'il soit devant un être vivant et je pense au portrait de Gide, qu'il soit devant les palmiers, les oueds, les sables de l'oasis de Nefta, qu'il soit devant des fleurs, des grenades, des raisins, où des oranges de Malte, son art est celui des moines qui n'ont besoin que de la vérité pour illuminer. "

Il fait un très beau portrait de lui en 1948 que l'on peut voir au Centre Jean Giono à Manosque ; leurs relations se poursuivront jusque en 1961.

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